Jackie, ou quatre jours de la vie d’une première dame après l’assassinat de son mari. Que s’est-il passé dans la tête et dans le cœur de Jackie Kennedy entre le basculement brutal de sa vie et les obsèques de JFK ? Le réalisateur chilien Pablo Larrain nous offre une plongée dans la psychologie de cette première dame emblématique, interprétée avec beaucoup de justesse par Nathalie Portman.
EFFETS MUSICAUX ET GRAPHIQUES
D’emblée le réalisateur nous prend dans la tourmente avec une image et une musique qui s’imposent brutalement. Le gros plan presque exagéré sur le visage de l’actrice, dès le démarrage, est annonciateur de la suite : Nathalie Portman est omniprésente dans ce film, et grâce à son excellent jeu, elle crève littéralement l’écran. Elle reflète le visage d’une Jackie Kennedy qui cherche à contenir son émotion (une certaine pudeur liée à son rang étant nécessaire), mais qui laisse tout de même entrevoir une immense détresse.
La musique d’introduction de Mica Levi est parfaitement composée pour donner des haut-le-cœur aux spectateurs : le motif musical, qui est distribué aux cordes (violons, violoncelles, contrebasses), consiste en une succession de glissandos descendants sans vibrato. Cela donne l’impression que les instruments se désaccordent progressivement, ce qui illustre à merveille la perte de contrôle de soi, la désintégration intérieure.
Puis le son métallique et froid d’une flûte traversière vient faire écho à ces glissandos comme une lance venue percer les cœurs.
Ce film présente parallèlement 3 sujets issus d’époques différentes :
- Un documentaire historique réalisé en 1962 où le couple Kennedy présente les aménagements intérieurs réalisés à la Maison Blanche depuis leur installation.
- Le déroulement des journées de Jackie entre la mort et les obsèques de JFK.
- Une interview de Jackie Kennedy par un journaliste, après les obsèques de son mari.
Ce parallélisme temporel nous aide à suivre l’évolution de l’état d’esprit et la maturité de la Première Dame la plus emblématique du 20ème siècle.
LE DEUIL SOUS TOUTES SES FACETTES
Comment la femme du Président des Etats-Unis, devenue brutalement veuve à 34 ans, peut-elle bien vivre les quelques jours qui suivent le traumatisme ? Quels mécanismes psychologiques ont lieu ? Comment a-t-elle fait face à l’organisation des obsèques ? Comment survivre à une telle épreuve ? Ce film entre en profondeur dans la psychologie de Jackie Kennedy suite à l’assassinat de son mari. Divers sujets sont évoqués :
- Faire face au regard du monde entier, à commencer par celui de « Bobby » (Robert Kennedy) son beau frère, de ses enfants à qui il faut annoncer le drame avec force et courage, du nouveau Président et sa femme qui ont tôt fait de s’installer à la Maison Blanche, de l’entourage politique et diplomatique, mais aussi du peuple américain.
- Rendre un grand et bel hommage, digne d’un chef d’état, sans tomber dans l’orgueil. Dans l’organisation des funérailles, l’accent est mis sur le fait que Jackie souhaite montrer au monde entier la douleur d’une famille privée brutalement de son chef de famille. Ce qui reflètera finalement la douleur d’un peuple privé de son chef de file. Malgré les circonstances jugées dangereuses par son entourage, elle réussira à organiser une grande procession à pieds avec l’ensemble des dignitaires internationaux pour suivre le cercueil jusqu’à la cathédrale où a eu lieu la cérémonie religieuse.
- La perte d’un statut, mais aussi d’une situation matérielle confortable. Où aller ? Que faire ? Une première dame n’existe que via son mari. Quand celui-ci n’est plus, l’existence de son épouse s’en trouve transformée. Jackie est notamment hantée par l’histoire de l’épouse du Président Abraham Lincoln qui serait devenue indigente après la mort de son époux.
- L’insécurité et la peur de sentir qu’une part du peuple américain haïssait son mari, et donc elle aussi. Cela se mêle avec l’impression de n’avoir été qu’une « épouse » de Président, comme si elle faisait simplement partie du décor, admirée pour sa beauté et son style vestimentaire plus pour ce qu’elle est réellement.
- La remise en cause spirituelle : quel est le sens de la vie ? Où va-t-on après la mort ? Comment un Dieu aimant peut-il exister s’il admet de telles souffrances ? Les différents échanges de Jackie avec le prêtre montrent une âme tentée par la révolte, tout en aspirant à la pureté, à l’obéissance et à la recherche du sens de cette vie qu’elle n’a pas choisie.
- Le deuil d’un être aimé, oscillant entre les bons souvenirs (un mari et un père parfait, la musique qu’ils écoutaient ensemble, les soirées dansantes, la complicité d’un couple, etc.) et les mauvais souvenirs (infidélités notamment).
- Le besoin de solitude de Jackie, de revivre dans le passé, de réveiller les bons souvenirs passés avec son mari, ce qui est particulièrement difficile à réaliser dans un contexte où elle est sans cesse entourée de gardes du corps.
- Le sentiment de Robert Kennedy de n’avoir, avec JFK, rien apporté de brillant à l’Amérique ni au monde. Il évoque notamment son impression d’être un imposteur qui bénéficierait d’une aura parce qu’il fait partie du clan Kennedy, très admiré d’une partie des américains.
On perçoit à travers cette multitude de pensées qui déferlent dans l’esprit de Jackie Kennedy qu’il est très difficile de les ordonner, et d’y trouver une cohérence. A plusieurs reprises, notamment lors de son interview avec le journaliste, Jackie dit une chose puis l’instant d’après exprime son contraire. Cela illustre avec beaucoup de justesse ce qui se passe dans l’esprit d’une personne traumatisée, devant faire face malgré tout à la vie qui continue, sachant que les yeux du monde entier sont braqués sur elle.
QUE SAIT-ON DE LA MUSIQUE CHOISIE POUR LES OBSÈQUES DE JFK ?
Lorsque Jackie Kennedy évoque pour la première fois l’organisation des funérailles de son mari, dans l’avion qui la ramène du lieu du crime, elle pense tout d’abord à la musique ! Elle évoque d’emblée le souhait de faire venir une troupe de sonneurs de cornemuses.
Plus loin dans le film, quand les cornemuses sont effectivement sur place pour la cérémonie d’enterrement, leur chant est volontairement couvert par un son de la bande originale consistant en une sorte de bourdonnement sourd et grave.
Malgré quelques clichés regrettables, ce film est particulièrement intéressant pour son traitement en profondeur de thèmes sur le deuil et sa psychologie dans les instants succédant immédiatement un traumatisme lié aux circonstances de la mort d’un être cher.